dimanche 21 janvier 2007

Exsencre

Je suis faite de lettres.

Les lettres se bousculent en moi et orbitent autour de moi. Elles vont et viennent comme une caresse sadique, un couteau que l’on affile.
Les lettres me transpercent avec leurs traits acérés.

J’ai envie de mettre des mots sur cet écran blanc. Prendre le dessus. Faire des tâches silencieuses. Baver des mots pour leur rendre leur liberté, pour m’en débarrasser…
Mais les lettres me gagnent…
Les lettrivores sont faibles. Les lettres nous assèchent de l’intérieur.

Parfois on ne soupçonne rien, mais l’autre, lui, le sait. Il le sent, dans le flux des mots. Les lettres sont aigre-douces.
Je suis sûre que vous me trouvez bizarre. Elles font leur effet.
Les lettres sont fourbes. Elles sont partout.
Il faut s’en débarrasser avant qu’elles ne vous jouent quelque mauvais tour, avant qu’elles ne s’agrippent à une feuille vierge ou un écran blanc.
Les lettres savent-elles écrire ? Je ne sais ce qu’elles sont capables de faire. Elles puisent leur force dans nos bouffées d’air et nos postillons.

Je vais les noyer dans ma salive!!! Ou …dans l’encre noire ?

J’avale des lettres de travers, je m’étouffe. Mes joues s’imbibent d’encre cramoisie. Je glousse sans articuler et mon haleine me trahit toujours.

Mais les lettres s’écoulent toujours dans l’entre exigu de ma gorge et c’est un élixir noir, jouissif.
Les lettres vibrent en moi et bondissent de toute leur force sur mon cœur comme sur un trampoline, de plus en plus vite. Les lettres battent la chamade.

Et tout d’un coup l’écran blanc me revient. Mes joues sont transparentes et rigides comme des cartouches vides. Les lettres avides d’encre ont essuyé l’écran de leurs courbes visqueuses et m’ont laissé exsencre. Plus une trace.

J’étais faite de lettres...